jeudi 28 janvier 2010

Tribunal des flagrants délires - Jour 3 Procès CRA Vincennes






Troisième jour d'audience en ce mercredi 27 janvier. Arrivée dans le grand hall vers 12h30, une vingtaine de personnes présentes. Passage du portique sous les mêmes flashs pour les mêmes photos. Il est 13h20 dans la 31ème chambre du TGI de Paris. Installés comme on peut comme des gamins sur des bancs d'école, on se marre derrière la tête dégarnie de Brard, ex maire toujours coco de Montreuil (1). Devant nous, des gars risquent dix ans de taule. L'un d'entre eux est, au début de l'audience, toujours placé en détention provisoire.

Début de l'audience à 13h35. Réponse à la demande de récusation de la présidente du tribunal, présentée la veille par l'avocate de l'un des accusés, auprès de la cour d'appel : la présidente informe que le président de la cour d'appel a rejeté la demande. En gros, cela veut dire que la cour d'appel estime que le siège est impartial et peut juger l'affaire.

La présidente, que l'on entend à peine, souhaite que "les débats se déroulent dans la sérénité" (sic). Gloussements contenus dans l'assistance. Brard interpelle la présidente au sujet du "respect" dont elle devrait faire preuve en matière de publicité des débats. En fait, les paroles de la présidente sont inaudibles, à moins d'être planqué sous son estrade. Première interruption des débats. Suspension de l'audience (2)

Reprise.

La présidente : "je recommence. (...) je l'ai dit, mais il fallait écouter."

Irène Terrel, avocate de l'un des accusés commence. Pour comprendre un peu ce qui se joue aujourd'hui, il s'agit pour les avocats de la défense d'aborder en premier lieu l'affaire sous l'angle procédural. En gros, de questionner les modalités de l'instruction, d'en trouver les failles, les limites. Par une critique de la forme de l'instruction, décrire en filigrane le fond.

Avant cela, Irène Terrel s'interroge sur le "caractère public d'une audience pénale". Elle fait notamment référence aux nombreux gendarmes (deuxième euphémisme) présents à l'intérieur et à l'extérieur de la salle d'audience, gendarmes qui, selon elle, "ne servent pas à grand chose" (sic). Irène Terrel "veu[t] un procès totalement transparent". La présidente perd alors de son flegme : "audience suspendue". Number two. Il est 14h. Deux suspensions en moins d'une demi-heure.

Malgré les doubles portes de la salle, on entend au même moment des cris dans le grand hall. Ca gueule dehors et la présidente a appelé le conseil de l'ordre au sujet du comportement des avocates de la défense.

14h35.

Reprise

Irène Terrel axe son discours autour de deux dimensions : politiques et procédurales. En très gros, le procès est politique puisqu'il participe de la politique d'immigration du gouvernement français (cf. "l'accueil" réservé aux Kurdes arrivés en Corse/ politique du chiffre/ interpellations ciblées/ Affaire des arrestations de Terre-au-Curé). Elle indique que, pour avoir demandé la récusation (rejetée) de la présidente, sa consoeur (3) s'est vue infligée une amende de 750 euros par la cour d'appel. Irène Terrel rappelle les décrets régissant les CRA -décret 30 mai 2005- en matière de sécurité notamment. C'est là où commence l'aspect plus procédural de la question. Certains documents n'ayant pas été versés au dossier d'instruction (décrets, rapports de la CIMADE alertant les pouvoirs publics sur les mauvaises conditions de rétention et les risques afférents, autopsie réalisée après la mort de Salem Souli en juin 2008 au CRA de Vincennes –mort du retenu qui a entraîné la révolte dans le centre-), on peut s'interroger sur l'éventuelle nullité de la procédure, mais également sur la question de la responsabilité de l'Etat dans cette affaire. C’est ce qui fait dire à Irène Terrel que l’on a affaire à une « justice du pauvre » : rapidité de l’instruction et du procès, en comparaison avec d'autres affaires. Elle cite les affaires Tibéri, Dumas et Clearstream (4).

Il est également question des « refus de demandes d’actes » essuyés par la défense lors de l’instruction du dossier. En d’autres termes, la « recherche objective de vérité » a été entravée, avant l’ouverture du procès. Pour faire simple, comment préparer sa défense quand l’accès aux pièces à charge est refusé par la chambre d’instruction ? Selon Irène Terrel, il s’agit d’une violation de l’article préliminaire du Code de Procédure Pénale (CPP - article 81) et de l’article 6 de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) qui prévoit les conditions d’un « procès équitable », c’est-à-dire l’accès à une « instruction à décharge ».

L’une des demandes principales formulées par Irène Terrel est donc, en matière de procédure, un « supplément d’information » : incluant une « enquête de personnalité » des accusés, une expertise technique (question des normes de sécurité des CRA 1 et 2 (5) ). Afin de souligner la faiblesse de l’instruction, voire son orientation, Irène Terrel relève que, si des pièces ne figurent pas au dossier, il existe en revanche 100 cotes relatives à la téléphonie de l’un des anciens accusés (qui a obtenu un non-lieu). En d’autres termes, l’instruction s’est orientée vers une mise en cause des associations de soutien aux sans-papiers. (6)

Les pièces qui constituent le seul élément à charge dans le dossier sont les vidéos de télésurveillance du CRA. La défense n’a eu accès, lors d’un « transport sur site », qu’à un montage de 3h30, alors qu’il existe 35h d’enregistrement. Les vidéos sont sous scellés.

Il est également question d’un accès au dossier Souli pour relier éventuellement les deux affaires et de la responsabilité de l’Etat dans l’incendie du CRA (pour négligences).

Fin de la plaidoirie d’Irène Terrel. 15h20

Plaidoirie de la deuxième avocate de la défense.

Dans la lignée de la plaidoirie d’Irène Terrel, l’avocate demande l’ouverture des scellés et un supplément d’information. Toujours en matière de procédure, elle cite l’article 6 de la CEDH –également cité par Irène Terrel- définissant l’ « égalité des armes ». Elle souligne l’ « avantage substantiel » de la police sur la défense en matière de consultation des bandes vidéo.

Il est également question de la responsabilité de l’Etat en matière de respect des normes de sécurité dans un CRA. L’avocate cite un rapport du Sénat daté de 2009 qui dénonçait le « grand laxisme en matière d’incendie » existant dans le CRA. L’avocate demande un second « transport sur les lieux ».

Fin de la plaidoirie.

Troisième avocat de la défense.

Henri Braun axe sa plaidoirie sur des dimensions politiques et procédurales. L’avocat aborde la question des conditions de la rétention, en parlant notamment des tentatives de suicide de retenus. Il cite un extrait du rapport de la Brigade canine réalisé après l’incendie du CRA : « les chiens ont été incommodés par les feux. »

La question principale de l’avocat est la suivante : « pourquoi et comment le CRA a flambé ? »

L’avocat aborde les questions procédurales sous l’angle des motifs et des conditions de la détention préventive réalisée par son client. Remis en liberté conditionnelle, son client a effectué 11 mois et demi en détention au motif d’un « risque de réitération de l’incident » et d’un « risque de concertation frauduleuse » avec les autres prévenus. L’avocat un peu blagueur souligne l’absurdité du motif (comment le client pourrait-il à nouveau incendier un CRA ? –si tant est qu’il ait été l’auteur de l’incendie de juin 2008-). Au sujet du risque de concertation frauduleuse, l’avocat précise que son client était incarcéré avec … l’un des prévenus. A l’évocation de cette histoire, la salle se marre. La présidente encore plus flegmatique : « la salle ne rigole pas ! » (sic).

Henri Braun revient sur la définition de l’ « impartialité » en droit, suite à la demande en récusation présentée par une des avocates de la défense. Il dissocie l’impartialité subjective de l’impartialité objective. En d’autres termes, il aborde la question du « pré-jugement » (la connaissance du dossier par le magistrat, soit la question de l’objet jugé) et du « pré-jugé » (fondé sur les affects, soit la question du sujet qui juge).

L’avocat revient sur la question de l’instruction, lors de laquelle toutes les demandes d’actes ont été rejetées. Selon lui, « le tribunal ne peut pas statuer sur une instruction qui n’existe pas ».

Fin de la plaidoirie.

Quatrième avocat de la défense.

L’avocate demande également un « supplément d’information » et évoque la question de l’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir politique.


Cinquième avocat de la défense.

Il s’agit de l’avocate du seul prévenu -N.- toujours maintenu en détention provisoire. Le gars est jeune, il comparaît entre deux gendarmes. Toutes les demandes de remise en liberté conditionnelle ont été rejetées. L’avocate axe sa plaidoirie sur les questions procédurales. Elle rappelle que toutes les demandes d’actes ont été refusées par la chambre d’instruction. L’avocate demande au tribunal de « faire du droit, rien que du droit ».

Sur l’accès aux pièces à charge et la nullité éventuelle de la procédure : « Si l’on ne peut débattre des vidéos, alors c’est qu’elles n’existent pas, et si elles n’existent pas, alors il y a relaxe. »

Fin de la plaidoirie.

Sixième avocat de la défense. Avocate qui a déposé la veille une demande en récusation auprès de la cour d’appel.


L’avocate pose à nouveau la question de la jonction entre les dossiers Souli et l’incendie du CRA. Une autre dimension du dossier est abordée par l’avocate : la partie civile (l’Etat dans le cas présent) s’est manifestée la veille du procès. L’avocate relève le fait suivant : on peut considérer que la partie civile fait le dossier. En effet, ce sont les services de l’Etat qui ont réalisé les expertises versées au dossier. L’Etat qui s’est constitué partie civile à la veille du procès souhaite imputer les frais de reconstruction du CRA aux inculpés. L’avocate soulève alors cette question –ce que j’appellerais une « injonction paradoxale »- : comment l’Etat peut-il demander à des personnes qui, par leur statut même, n’ont ni droit au travail ni droit au séjour, comment l’Etat peut-il donc demander à ces personnes de payer les frais de reconstruction ?

L’avocate évoque le cas de son client, jugé en 2005 par l’actuelle présidente du tribunal et père d’enfants français. La présidente demande alors à l’accusé de se taire. Il dit qu’il est en effet père d’enfants français. Moment assez pénible (7).

L’avocate demande une copie des scellés et fait référence aux rapports de la CIMADE déjà présente dans les camps d’internement français en 1939.

Fin de la plaidoirie.


Petites broutilles entre l’avocate de la partie civile (8) et Irène Terrel.

Réquisitions du procureur Gilbert Flam.

Il rappelle que toutes les demandes d’actes ont été rejetées pendant l’instruction. La question centrale selon lui est la suivante : « comment et pourquoi le centre a flambé ? ». Selon lui, un « supplément d’information » n’est pas nécessaire. Il aborde la question des expertises et des normes de sécurité (notamment par rapport à la combustion des matelas dans le CRA de Vincennes). Au sujet des vidéos –élément à charge dans le dossier- selon lui le choix du montage n’était pas « arbitraire » (sic). Néanmoins il requiert un visionnage de l’intégralité des bandes.

Suspension de l’audience. Délibérations.


A ce moment là, quelque chose d’assez signifiant se joue dans le grand hall. Après des heures d’audience, bizarrement, les gens ont envie d’aller aux toilettes. A la sortie de la salle d’audience, une soixantaine de gendarmes bloquent tous les accès. A moins de sortir quai des orfèvres, de pisser dans cette rue prestigieuse, et ce en bonne compagnie, et donc de ne plus avoir accès à la salle d’audience, il est impossible de se vider la vessie. Des gens gueulent, les gendarmes jouissent de ce petit pouvoir. La justice est grande.

Reprise de l’audience. 19h15

La présidente annonce que les débats seront prolongés : 1er, 2, 3 février et 8, 9 (10 ?), 15 (16 ?) février. Les vidéos seront visionnées dans leur intégralité.

Débats entre avocats par rapport aux dates d’audience prévues. Convocation du bâtonnier. Petit conciliabule entre robes.

Un peu plus intéressant et fondamental, la demande de libération conditionnelle formulée au tribunal par l’avocate de N., seul accusé encore en détention provisoire.

Le procureur requiert la remise en liberté sous contrôle judiciaire.

Délibérations.

La présidente annonce que N. est remis en liberté.

Spontanément, les gens applaudissent dans la salle. La joie sur le visage de N. prend à la gorge.

Sortie de la salle d’audience. On discute quai des orfèvres, extrêmement heureux de la remise en liberté de N. Beau moment rapidement interrompu par l’arrivée d’au moins six camions de CRS. Ils sortent les matraques, les lacrymos bien en main. Après l’épisode des toilettes, les petites humiliations continuent. Les gens se barrent, pas le choix.


Reprise lundi. 14h.










(1) S' agissant des rires -si tant est qu'ils puissent être réellement détendus dans une salle d'audience où des gars risquent 10 ans de taule- suscités par la vision d'un Brard assistant à ce genre de procès, il faut préciser que l'actuel sénateur de Seine-Saint-Denis n'a pas toujours été très clair en matière de soutien aux sans-papiers quand il était maire de Montreuil. Fin de l'euphémisme.

(2) L'ordre du discours judiciaire mériterait une analyse détaillée, évidemment. La théâtralisation de la prise de parole du siège, du parquet, des avocats ; l'assise symbolique du pouvoir dans les modalités de prise de parole ...

(3) Ah la terminologie des avocats...

(4) A ce propos, la mention du procès Clearstream est intéressante, puisque le procureur Gilbert Flam, procureur dans l’affaire du CRA, s’est constitué partie civile dans l’affaire des faux listings …

(5) Plus précisément, le CRA de Vincennes était constitué de deux corps de bâtiments, soit les CRA 1 et 2 qui comptaient 280 places en rétention.

(6) Il suffit de se souvenir des déclarations de Frédéric Lefebvre à la suite de l’incendie du CRA. Il avait alors mis en cause les associations qui manifestaient aux abords du CRA en parlant de « provocations ».

(7) Au rayon des violences réelles et symboliques vécues par les accusés, la question de la prise de parole des accusés –et de son contrôle par le tribunal- est particulièrement intéressante.

(8) Digression absolument pas technique dans ce compte-rendu : l’Etat est bien représenté dans cette affaire. Par pure « impartialité subjective », je dirais que son « conseil » est à son image ici : glaçant et hautain.












NB : J’ai pris le parti de réaliser un compte-rendu de l’audience assez exhaustif car j’ai l’impression qu’on ne sait jamais vraiment comment s’organisent l’instruction, la défense, etc…

Et puis s’agissant du sort réservé dans les palais de justice aux soutiens aux sans-papiers, voir Indymedia Nantes.


mardi 26 janvier 2010

Tribunal des flagrants délires - Jour 2 Procès CRA Vincennes



Shakespeare, Dante, on pense à beaucoup d'auteurs quand on est dans un tribunal. La journée commence bien.

12h30, déjà quelques personnes qui attendent devant le portique de la 31ème chambre. On aperçoit quelques gendarmes qui prennent place dans le grand hall. On dirait des parachutistes avec leur sac à dos camouflage, la distribution de chocolat en moins. Pendant ce temps déboulent du long couloir qui mène au grand hall six personnes, dont deux semblent traîner le matériel d'un démineur ou d'un plombier. Elles se plantent en bas du grand escalier. Nos regards sur plantent sur elles. En demi-cercle et très concentrées visiblement, elles observent quelque chose sur une des marches. C'est "la leçon d'anatomie" au palais de justice. Et, au lieu d'un macchabée et de ses viscères, on découvre derrière les pieds de l'arc de cercle une seule inscription. Rembrandt peignait les collerettes, d'autres ont écrit au pied de l'escalier d'un palais de justice "feu aux prisons". Quelques personnes devant le portique se marrent franchement en comprenant que les six personnes se penchent en fait sur un tag. Elles sont dépêchées par le tribunal pour constater les "dégradations". Trois photographes arrivent avec un matos digne du téléscope du Pic du Midi. Ca mitraille au flash le petit "feu aux prisons" en bas de l'escalier. Le travail de collecte de données terminé, un gars aussi sérieux que les collègues qui l'ont précédé, prend quelques notes dans un cahier futuriste. Je brûle d'y lire ses "observations". "Dégradations de type 4. Stop. Inscription manuelle. Stop. Modus operandi inconnu de nos services. Stop".... La journée commence bien.

D'autres gendarmes arrivent, plus nombreux que la veille à la même heure. Des gens qui vont peut-être assister à une audience trimballent des couffins avec eux dans l'escalier. La session "découverte de la justice" de la veille a abaissé la moyenne d'âge du public. Les avocats enfilent leur robe dans le hall. Moins de monde qu'hier. On doit être une cinquantaine (1). Les caméras débarquent et s'installent près du portique. Elles s'allument quand arrive l'un des prévenus. Les gendarmes laissent entrer le public. Flash d'appareil photo, lumière des caméras et fouille des sacs. Aujourd'hui, on doit être une trentaine à l'intérieur. Salle d'audience aux murs jaunis, banquettes en skaï marronasse. A l'avant-gauche, sous l'horloge flanquée d'un "lex" en bas-relief, le box des accusés. Deux gendarmes pour un accusé à l'intérieur. A l'avant-droite, le box des journalistes (2). Un des gendarmes dans la salle nous demande de nous lever. Arrivée de la cour.

La présidente annonce que la demande de renvoi de l'avocate de l'un des accusés est rejetée. En gros, la "suspicion de non-impartialité" n'a pas été retenue (3). L'affaire du CRA est une "affaire distincte" (sic), la composition du siège n'a pas à être changée. La présidente évoque un arrêt de la Cour Européenne des Droits de l'Homme en matière d'impartialité. L'avocate présente -en mentionnant qu'il s'agit d'une "première" pour elle- une demande de récusation, selon l'article 668, devant la première présidente de la cour d'appel. L'audience est suspendue. Au bout de cinq minutes, on est déjà dehors. Ou plus précisément, hors de la salle d'audience.

Même dispositif que la veille : les gendarmes bloquent toutes les sorties, sauf celle menant sur le trottoir du quai des orfèvres. Le temps d'aller me chercher un café, une cinquantaine de personnes est encerclée dans le grand hall par les gendarmes. Visiblement, les deux minutes de chant "liberté pour les sans-papiers" entonné par les gens sont un désordre caractérisé pour les gendarmes. Ils poussent le groupe vers la sortie; un monsieur se fait sortir, les gendarmes se font un plaisir de le foutre à terre, puis le refourgue sur le trottoir. Irène Terrel, l'une des avocates, qui était dans le grand hall à ce moment là, demande des explications à l'un des gendarmes. S'ensuit une réponse aussi mesurée que la scène du tag dans l'escalier. Si les gens ont été très gentiment repoussés vers la sortie, c'est parce "il y avait des gens qui avaient des comportements provoquants" (sic). Quelqu'un précise que la "provocation" réside peut-être dans la présence de flics en surnombre. Les journalistes se contenteront d'une "atmosphère électrique". Moi je pense surtout à Ionesco.










(1) A propos du nombre de personnes présentes dans le public, j'ai beaucoup ri hier en lisant l'estimation d'un journaliste -de je ne sais plus quel journal d'ailleurs-. Selon lui, nous étions 50 ...

(2) Deux pour un bon "papier"?

(3) Rappel des faits : l'avocate de l'un des accusés avait invoqué la veille la "suspicion de non-impartialité" à l'encontre de la présidente qui, en 2005, avait jugé l'accusé dans une autre affaire.

NB : visiblement, une personne a été arrêtée cet après-midi, après l'audience.

lundi 25 janvier 2010

Tribunal des flagrants délires - Jour 1 Procès CRA Vincennes






Le jugement de ceux que l'on appelle les "inculpés de Vincennes" a commencé aujourd'hui au Tribunal de Grande Instance de Paris. Ils sont dix à être accusés d'avoir incendié le centre de rétention administrative de Vincennes en juin 2008 alors qu'ils y étaient retenus (1) et comparaissent pendant trois jours devant la 31ème chambre du TGI de l'Ile de la Cité.


Le tribunal, la justice, les grandes colonnes néo-antiques et ses flics qui t'accueillent dès la sortie du métro Cité, en armure près du marché aux fleurs. Arrivée devant le Palais de Justice. Entrée "public". Personne au premier contrôle, il est 12h (2). On fait passer ton sac, ton manteau et tes pièces jaunes sous un scanner et toi sous un portique, le tout sous la supervision des gendarmes. Ici, tout passe sous rayon X. La Justice est tellement juste qu'elle craint néanmoins pour sa santé. Après l'accueil des gendarmes, tu accèdes à la Cour de la Sainte Chapelle. Jolie cohabitation de deux inventions ancestrales : à votre droite, Dieu est mort mais sa maison est toujours debout, à votre gauche, le Palais se porte bien et la Justice ... on notera le bel effort de conservation des deux édifices.

Au milieu, c'est festival des costumes : les avocats dans leurs belles robes, les gendarmes (c'est un accueil permanent avec eux) en armes, les journalistes et leur éthique, et puis le reste qui, comment dire? attend ? Tout paraît disons à peu près vraisemblable, et c'est comme il vous plaira :

"All the world's a stage
And all the men and women merely players :
They have their exits and their entrances (...)" (3)

Je cite Shakespeare, mais Dante passe aussi.

Direction la 31ème chambre. Au départ, les audience étaient prévues dans la 16ème mais visiblement on attend du monde au "palais". Encore des gendarmes. L'espèce de grand hall avec verrières qui sert d'antichambre aux correctionnelles et aux assises ressemble à la gare centrale de Bruxelles. Avec un peu plus de gendarmes.

13h

Le public arrive. Ca se masse devant le portique (et un peu plus de gendarmes) de la 31ème chambre. Deux cents personnes peut-être, pas mal de soutiens, plus les caméras et leur éthique sur "play" essayant de saisir un oeil derrière les cagoules des inculpés qui arrivent. Une quinzaine de personnes du public arrivent à entrer dans la salle d'audience. Pour le reste qui attend, une voix (?) : "sont rentrés les avocats, les journalistes et les invités (sic)". Je cherche toujours le sens du dernier mot en droit français, sans succès. Il s'agit d'une erreur, pour les plus optimistes.

Première suspension de l'audience. On apprend qu'un des inculpés s'est fait arrêter ce matin dans Paris après un contrôle d'identité. On l'attend. L'audience doit reprendre à 15H30.

Même valse des avocats, des caméras et des gendarmes qui resserrent les rangs. Une avocate traîne des gosses pour ce que j'imagine être une séance de "découverte" de la justice. Je me demande si quelqu'un a songé à leur dire que le Père Noël, aussi, n'existait pas. Pas trop de déconvenues en une seule journée.

Reprise de l'audience.

Le gendarme au portique ne laisse passer personne. La "publicité" des débats commence à devenir une notion assez floue et des "pas de justice à huis clos" commencent à résonner dans le grand hall. Visiblement, ça plaît beaucoup aux gendarmes qui appellent des collègues. Une armée de mélomanes certainement. Ils bloquent une partie du hall.

Les pas que l'on aperçoit à travers la verrière au plafond sont peut-être assez signifiants de ce qui se joue plus bas. On nous marche littéralement dessus. Certains pourraient y voir de la transparence, moi j'y vois en ce moment de l'écrasement.

Sortie des avocats. Suspension d'audience jusqu'à demain pour "suspicion de non-impartialité".

La ligne des gendarmes se resserre. On est de fait bloqués côté sortie quai des Orfèvres. Evidemment, d'autres gendarmes bloquent l'accès au trottoir dudit quai. Pour dire les choses autrement, on ne peut pas sortir du palais de justice. Les gendarmes ont l'air tout à fait satisfait de la situation.

Au bout de vingt minutes, on est dehors, le long du quai des orfèvres ...


"And then the justice,
In fair round belly with good capon lined,
With eyes severe and beard of formal cut,
Full of wise saws and modern instances;
And so he plays his part." (4)



... Demain, il y aura aussi quelque chose de pourri dans le royaume. Voire un peu plus.












(1) Pour le rappel des faits, un petit détour par Démosphère.

(2) Chose assez rare, car généralement une heure après, soit vers 13h, la file d'attente est tellement importante que tu te retrouves sur le trottoir, boulevard du Palais, sous les regards curieux des touristes qui se demandent peut-être si Notre-Dame ne s'est pas téléportée.

(3) "Le monde entier est un théâtre
Et tous, hommes et femmes, n'en sont que les acteurs
Chacun fait ses entrées, chacun fait ses sorties (...)"
Comme il vous plaira, Acte II, scène 7

(4)"Après lui, c'est le juge
Au ventre arrondi, garni d'un bon chapon
L'oeil sévère, la barbe taillée d'une forme grave ;
Il abonde en vieilles sentences, en maximes vulgaires ;
Et c'est ainsi qu'il joue son rôle "
Comme il vous plaira, Acte II, scène 7



dimanche 24 janvier 2010





La misère humaine, en France, on l'aime, on la chérit, on l'embrasse en caméra DV quand elle est loin, très loin, ou quand on choisit de la mettre en scène dans un Terminal de Roissy, à la manière de Carla B. qui fait des bisous dans le cou et des vocalises à l'arrivée de 30 gamins adoptés. Haïti, c'est bien ; la tectonique des plaques a peut-être détruit des palais et des bouibouis, elle a surtout offert à toutes les crapules au nord de l'Equateur une merveilleuse occasion de rééditer en mode sympa le "fardeau de l'Homme blanc". Les "élans de solidarité", on aime. On a eu du coeur, nous. Populations échouées dans les failles de la route ainsi découverte et de l'Histoire, la France vous tend les bras (et les linceuls) !

Le discours médiatique a un peu perdu de son lyrisme quand il s'est agi de parler des "pillages" auxquels se livrait la population. Eh la population meurtrie ! C'est pas parce qu'y a plus rien qu'on a droit de voler des canettes d'eau croupie dans les magasins ! Aucune dignité chez les miséreux. Ton pincé des journalistes pour évoquer les "scènes de pillage" auxquelles ils avaient assisté et qu'ils se faisaient un plaisir contrit de raconter depuis les "jardins de l'Ambassade de France" (sic).

Pendant que les cargos d'aide "humanitaire" arrivent dans le reste de port de Port-au-Prince, la France découvre sur une plage corse une centaine de migrants. En moins de 24 heures, les "élans de solidarité"deviennent dans le cas français au mieux une erreur de traduction (des cervidés qui accueilleraient des castors, peut-être), au pire une posture éthique pas franchement inconditionnelle. France Info livre la version du préfet, quelques mots à peine à propos des "associations qui aident les clandestins"(sic), elles qui se demandent s'il est bien légal de foutre en taule illico des gens qui a priori ne font pas escale sur leur yacht mouillant d' habitude à Portofino. Je dis "en taule" et pas en "centre de rétention administratif" because l'appellation officielle fait passer pour une quelconque salle d'attente ce qui de fait constitue une prison (1). Tous les "clandestins" (sic) ont été foutus en taule en moins de 24 heures car, selon le préfet de Corse-du-Sud Stéphane Bouillon, l'accueil dans un gymnase n'était pas convenable (2). Evidemment, un "accueil" dans une taule est un accueil ad hoc. Plus "humain" certainement pour "accueillir des familles avec des enfants".

On apprend donc qu'en France, la place des gosses est en taule et pas au gymnase. Attends, ces petits cons seraient capables de nous niquer les paniers de basket. "Ils se disent Kurdes" (sic), en plus.

"Leurs vêtements étaient propres, certains hommes étaient rasés, les enfants éveillés, peu choqués riaient et jouaient entre eux." selon Corse-Matin. Putain, le miséreux est propre, non, c'est vraiment trop bizarre, c'est des faux, des sociétaires du Français qui s'la jouent boat people. Les gosses rient, dans un gymnase ? Eh les gniards, la République va vous faire passer l'envie de rigoler. Et pour les parents qui auraient l'indécence d'accorder un sens au mot "dignité" en se coupant les tifs, on vous promet les poux au CRA.


C'est pas tout ça, allez, la République se redore le blason et le compte en banque à distance (c'est pas tout de soulever des poutrelles en paille dans les Caraïbes, faudra bientôt bétonner tout ça), garantit sur son sol dignité et solidarité en élans mesurés, et "take care of all of (its) children". Of course.









(1) A propos du choix des termes utilisés dans cette histoire, l'ami JBB a signé un excellent article sur Article XI. Où l'innocence des mots est aussi probable qu'un JBB sans rosé.

(2) "le gymnase n'est pas adapté pour recevoir et accueillir des familles avec des enfants"
dixit un gars qui doit malgré ça réussir à se regarder la trogne dans un miroir.

jeudi 14 janvier 2010

vendredi 1 janvier 2010