Mardi 9 février. Huitième jour d’audience, toujours à la 16ème chambre du tribunal correctionnel de Paris. 13h30. Devant la chambre, deux gendarmes indiquent comme la veille que le public ne pourra entrer que lorsque les affaires précédentes auront été renvoyées. Quelqu’un dans le public précise aux deux gendarmes que les audiences sont censées être publiques. Réponse des forces de l’ordre : « On a des consignes, on nous a demandé de ne faire entrer que les personnes qui doivent comparaître. » La définition du « huis-clos » est visiblement très extensive. Un quart d’heure plus tard, les quelques personnes présentes pour assister au procès du CRA prennent place dans la 31ème chambre, après vérification de l’extinction des téléphones portables. (1)
14h. Deux journalistes dans le box de la presse.
Ouverture de la séance. La présidente évoque (pour la forme) la citation de témoins par la défense. « Sont-ils présents ? » « Aucun des témoins cités par la défense n’est présent ». Elle décide alors de lire les déclarations des sénateurs Brard (apparenté PC) et Desessard (Verts), qui ont tous les deux témoigné dans cette affaire lors de l’instruction.
On commence par le Vert et on finit par le Rouge (2).
« Dans le cadre de [son] mandat », le sénateur Desessard a visité la zone d’attente de Roissy, les CRA du Mesnil-Amelot et de Satolas. Quinze jours avant l’incendie du CRA de Vincennes, il s’est rendu sur les lieux. Il a ressenti une « tension importante, une violence palpable ». « De retour à [son] domicile, [il] [a] été anéanti pendant deux heures » par ce qu’il avait vu à Vincennes. Il a noté de « l’agressivité [existant] entre les retenus eux-mêmes » et précise dans son témoignage que la question de l’éventuelle responsabilité individuelle des prévenus « doit être appréciée au regard de ces conditions explosives. »
Fin de la lecture du témoignage du sénateur Desessard.
La présidente rappelle que « tout téléphone doit être éteint » et que « tout moyen d’interception est formellement prohibé au sein de l’enceinte judiciaire. »
Lecture du témoignage du sénateur Brard portant plus particulièrement sur la personne de l’un des prévenus.
Brard est entendu le 29 janvier 2009 par le juge d’instruction. Le 21 juin 2008, « [il] [se] ren[d] au CRA de Vincennes suite au décès du retenu tunisien et rencontre le substitut du procureur. Un malien [lui] donne [alors] des documents. » Le 22 juin, « [il] reçoi[t] un appel de RESF [l]’ informant que le CRA est en flammes. [Il] [s]’y [est] rendu, [a] pénétré dans le centre. [il voulait passer un appel depuis son téléphone] mais [son] portable [lui] a fait défaut. Un retenu [l’un des prévenus pour lequel Brard témoigne] était en ligne avec sa femme. Elle a voulu qu’[il] intervienne. (…) »
En gros, Brard explique que le retenu était calme malgré l’incendie et qu’il imagine mal comment quelqu’un qui aurait été l’auteur d’un tel acte aurait pu être aussi détendu à ce moment là. Brard précise dans son témoignage que ce n’est pas la première fois qu’il visite le CRA.
Fin de la lecture par la présidente. « Y a-t-il des questions ? »
Pas de questions. L’avocate des plaignants s’avance vers les juges. (3) Commence alors une drôle de plaidoirie.
Elle débute en évoquant « les aveux ou les farouches dénégations des prévenus ». « Encore faut-il qu’ils soient là. Ils sont absents. Ils étaient bien présents les trois premiers jours du procès. » (…)
Selon elle, les prévenus « ont profité des conclusions » présentées par leurs avocats. Ainsi, « ils ont défloré la défense. »(4)
Elle parle du « ton qu’ils (les avocats de la défense) ont voulu imposer au dossier qui serait un dossier politique et sensible ». Elle revient sur « le parallèle avec Clearstream » (5) évoqué par la défense. Singeant la défense, elle poursuit : « ce procès qui devrait être selon eux le procès de la politique du chiffre et de l’enfermement, de la politique qui tue. »
« Ca m’a choquée [quand la défense] a évoqué [au sujet des CRA] le jour anniversaire de la libération d’Auschwitz (soit le 27 janvier) un univers concentrationnaire, [que les sans-papiers] seraient victimes de rafles. »
« Madame T. (l’une des plaignantes dont je relatais les envolées hier lors de son audition) est venue dire au tribunal ce que les manifestants criaient. »
Elle explique que c’est faire honte « aux déportés, et aux fonctionnaires de police en assimilant [ces derniers] à des kapos nazis. »
« Les CRA existent depuis 1981 (…) Ils ont été créés pour garantir un maximum de droits [aux sans-papiers]. (6) » Selon l’avocate, il ne s’agit pas ici du procès des CRA « et pas d’avantage du procès du CRA de Vincennes. » Elle avoue qu’elle était « totalement ignorante de ce genre de structures. » (7)
Par rapport aux conditions de rétention, elle rappelle que la nourriture est bonne et qu’ « on est loin des camps d’internement ».
« Les mesures ne sont pas celles d’une prison. Oui, l’enfermement, mais à part ça ? » (8)
L’avocate poursuit dans sa lancée : « Les retenus ont un nécessaire de toilette à l’arrivée, ils ont des droits, il y a quand même des visites, ils s’échangent des cigarettes, des portables, des briquets voire des allumettes. (…) Les portables sont autorisés, les Playstations sont autorisées, les fonctionnaires de police ont une présence réduite au strict minimum. Les retenus bougent [car] il faut éviter un ressenti d’agression. »
« Les retenus exerçaient une certaine violence entre eux et contre eux : des bagarres, des suicides. Cette violence, ils l’ont exercée contre les forces de l’ordre le 21 juin à la suite de la mort de monsieur Souli (…) Il y avait déjà des échauffourées, des départs de feu éteints grâce aux extincteurs et aux forces de police. Le 22 juin, il y a eu différents événements. La marche religieuse qui selon un fonctionnaire de police n’était pas que ça. Les retenus ont sorti des matelas (…), puis il y a eu des échauffourées entre [une plaignante] et des retenus (…). »
« Une femme représentante d’une autorité dans un monde d’hommes. » (9)
Selon l’avocate, heureusement la plaignante a eu « un bon réflexe en s’en allant ». L’avocate fait ensuite référence au moment où les flics se planquent dans l’espèce de cube grillagé extérieur : « Quand les policiers sont dans la grille, c’est comme s’ils étaient du côté de l’emprisonnement, de l’enfermement. » (10)
« Il y a eu des jets de poubelles, de projectiles (…) Ce n’est pas le procès du CRA mais de six personnes. (…) Nous avons des photos. »
A propos d’un des prévenus, l’avocate déclare que « son système de défense est un peu faible » faisant référence à la grève de la faim qu’il avait évoquée lors de ses auditions lors de l’instruction (la présidente avait précisé hier que visiblement selon les listes d’émargement du réfectoire du CRA, le prévenu avait cessé sa grève de la faim avant le 21 juin). A propos d’un autre, l’avocate explique : « il dit qu’il était atténué par les médicaments [Subutex] alors que c’est une infirmière qui distribue le Subutex. »
L’avocate parle de « la volonté des retenus de mettre le feu. »
Elle indique que l’une des plaignantes (la demoiselle qui a été auditionné la veille) « a reconnu [un prévenu] qui lançait des morceaux de dalles. »
Elle indique que des fonctionnaires de police ont reconnu des prévenus. Elle parle de sept témoignages dont celui-ci : « Je reconnais qui m’a craché dessus. »(11) « [l’un des prévenus] est un meneur, il a essayé de me taper, j’ai reçu un morceau de parpaing sur le pied. »
L’avocate, toujours très en forme : « Et on se demande après si on a besoin de vidéosurveillance ? »
Elle aborde la question des blessures des policiers, appuyée par des certificats médicaux. Voici en détail les blessures qui ont été relevées :
- « fracture du gros orteil – 5 jours d’ITT »
- « entorse bénigne du genou gauche + inhalations de fumées »
- « [une plaignante] tirée par le cheveux – 3 semaines d’arrêt de travail, mais elle est allée travailler quand même »
- « entorse de la cheville gauche – 3 semaines d’attelle »
- « inhalations de fumées toxiques, elle [la plaignante auditionnée la veille] a eu la peur de sa vie, ses jambes ne répondaient plus »
- « inhalations de fumées toxiques, il (un flic) a senti le vent venir – selon le certificat d’un ORL, il est sourd d’une oreille suite à l’exposition à des fumées toxiques »
- « inflammation nasale diffuse »
« Je ne reviendrai pas sur la demande de dommages et intérêts » (pas plus de précisions de la part de l’avocate).
L’avocate aborde la question du « préjudice moral ».
« On a beaucoup (?) parlé de la détresse des retenus mais on n’a pas parlé de la détresse des fonctionnaires de police. »
« Ils sont là pour aider les retenus étrangers, laisser passer des cigarettes, expliquer la CIMADE (sic). Ils sont un rôle social et humanitaire. Ils sont là pour rassurer [les retenus]. » (12)
« Il faut un certain sang-froid et du courage pour rentrer dans le CRA en dépit des flammes. »
(…)
Fin de la plaidoirie de l’avocate des plaignants.
Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Allez, plaidoirie de l’avocate du Trésor Public -de l’Etat donc- qui s’est constitué partie civile à la veille du procès.
L’avocate commence en disant qu’elle a entendu toutes sortes de choses à propos de l’Etat dans ce procès : « [Au contraire] je n’ai pas honte de défendre l’Etat. »
Elle parle des prévenus : « Ils ont dérapé. »
Elle évoque « la situation difficile psychologiquement et moralement » vécue par les retenus (« les retenus sont dans une situation difficilement vivable ») …pour mieux la renverser en parlant d’ « un pays où nous pouvons entendre les débats ». Elle poursuit sur « les excès du 22 juin et les excès de langage » : « on ne peut pas comparer certaines situations à d’autres situations » (en d’autres termes comparer les CRA à des camps d’internement).
L’avocate du Trésor aborde alors « la situation difficile des fonctionnaires de police qui appliquent la loi dans des circonstances difficiles à supporter. »
Selon elle, les flics « viennent là en soutien ». « Leur mission est d’être à l’écoute, de rendre les choses les moins difficiles possible. » Aussi, « ils ont le soutien de cet Etat qui n’est pas la société mais un organisme qui les emploie » (13). Elle poursuit : « L’Etat est un organisme social. »
L’avocate aborde la question du préjudice et considère qu’ « il est normal de venir demander réparation » même si celle-ci « est purement symbolique » puisque « les dommages ne seront jamais réparés » et que le préjudice « n’est pas entièrement chiffrable et que ceci serait très long ». Aussi, elle demande « un sursis à statuer pour chiffrer les dégâts. »
Fin de la plaidoirie de l’avocate du Trésor.
Réquisitoire du procureur Flam.
Il est « d’accord avec les parties civiles », « la défense avait de façon honteuse comparé les CRA à l’univers concentrationnaire de 1942, c’est une curieuse conception de l’Histoire. » « Comparer les CRA et la justice d’aujourd’hui à ce qui pouvait exister en 42, c’est de la manipulation, une vision de l’esprit (sic). » Ce discours de la défense est « difficile à entendre dans cette enceinte ou même ailleurs. »
« Les avocats (de la défense) ont déserté le prétoire, renonçant aux débats contradictoires (…) je retiens ce terme de ‘désertion’, c’est un coup porté à la justice en refusant de venir défendre leurs clients. »
« Les paroles prononcées sont infiniment dures à entendre. C’est un outrage à la mémoire, à l’Histoire, à ceux qui y travaillent [dans les CRA] et ceux qui y sont et qui ont des droits, qui peuvent rencontrer leur famille. Il faudrait que raison revienne. »
Le procureur poursuit « sur les faits » en renvoyant au rappel de l’historique par la présidente la veille. Il cite un fonctionnaire de police de la partie civile : « J’étais avec un collègue qui comprenait l’arabe. Nous avons entendu qu’après la mort de Salem Souli ils voulaient mettre le feu. » Le procureur d’ajouter dans un sourire de bon aloi : « …pas comme au Stade de France » (14).
Le procureur revient au déroulement de la journée du 22 juin 2008 :
« Après 15 heures, une manifestation est organisée à la mémoire de Salem Souli.
A 15h23, selon les vidéos du CRA 2, la manifestation compte 40 à 50 retenus. La manifestation se déroule à peu près tranquillement dans la cour du CRA 2.
A 15h25, les retenus du CRA 1 ont leur attention attirée par les manifestations à l’extérieur et la manifestation dans le CRA 2. Au même moment, 15h25, une vitre tombe au CRA 1.
A 15h27, les fonctionnaires de police se trouvent dans le CRA 1 pour empêcher les dégradations. 15h27, au CRA 2, un certain nombre de retenus sortent des matelas à l’extérieur du CRA 2.
A 15h33, il y a un départ de feu dans une chambre, où se trouvent [trois prévenus].
15h36, à l’extérieur, des matelas en tas commencent à brûler. En très peu de temps, le bâtiment du CRA 2 brûle. Il y a un départ de feu au CRA 1. Un certain nombre d’événements coordonnés interviennent.
15h41, les pompiers sont prévenus.
15h47, les pompiers arrivent. Le feu extérieur est important. »
Le procureur explique qu’ « il y a une espèce de concertation (sic) qui aboutit à cette action dans les deux centres avec un même objectif, qui est plus qu’une protestation, de détruire le bâtiment, avec un certain succès, il faut quand même le dire. »
« Le CRA 1 n’a pas été abîmé par l’incendie, mais il y a eu des destructions, des cabines téléphoniques endommagées. Les bâtiments C et D du CRA 2 ont été ravagés par les flammes. »
Le procureur revient sur la mort de Salem Souli qui « est une mort naturelle selon l’autopsie ». Il est mort « sous les regards de ses co-détenus (sic) qui n’ont pas alerté les services. » « La rumeur s’est développée. On a entendu des cris ‘assassins !’, ‘au meurtre !’ ».
« Un prévenu a parlé du ‘meurtre’ et pas de la ‘mort’ de Salem Souli. »
Le procureur revient sur les conditions de la rétention évoquées -très favorablement par les parties civiles- : « On n’est pas dans un hôtel 2 ou 3 étoiles. C’est un centre de privation de liberté. » Néanmoins, selon le procureur, « le personnel qui assure la sécurité agit selon une déontologie certaine. » « Les fonctionnaires de police essaient de calmer le jeu, les retenus voient leurs recours examinés, une association est présente sur les lieux, la CIMADE. Ce n’est pas 1942, même si des hommes retenus ont une liberté limitée. »
« L’enfermement provoque certains comportements, c’était un contexte particulièrement tendu, la mort de Salem Souli a entraîné une crispation, ce qui a permis à certains de faire valoir leur intérêt pour une démarche un plus violente. »
« On peut supposer une concertation, un minimum de coordination et des personnes qui jouent un rôle plus important que d’autres. »
« Il y a un certain nombre de personnes dont le rôle est apparu plus actif sur les vidéos. » Le procureur fait alors référence au « rapport contesté du laboratoire de police scientifique de la préfecture de police de Paris car il ne serait pas contradictoire ». « Ils [les experts] ont dit qu’il y avait eu différents départs de feu, qu’il n’y avait pas eu de communication entre les différents incendies. » Le procureur précise qu’il s’agit là des conclusions d’un labo « dont la qualité des experts est indiscutable ». (15) Les experts ont également conclu que « les matelas n’étaient pas ignifugés, qu’il s’agissait de départs de feu volontaires dans chaque centre et qu’on a présenté une flamme ». Le procureur de conclure : « par rapport à l’expertise, on ne leur a pas demandé d’en faire plus. »
Le procureur examine le cas de chaque prévenu, en commençant par ceux qui étaient retenus dans le CRA 1 :
Premier prévenu : « poursuivi pour violences volontaire sur les fonctionnaires de police et en réunion ayant entraîné des ITT inférieures à 8 jours ».
Selon le procureur, « avec les bandes vidéo, il n’y a pas de doute possible. Lors du visionnage avec le juge d’instruction, on le voit donner des coups de pieds et de poings aux forces de police. »
S’agissant de l’argument avancé par le prévenu au sujet de l’arrêt d’un traitement au Deroxat (un antidépresseur) qui aurait influencé son comportement, le procureur avance que le prévenu «n’a pas de dossier médical qui indiquerait qu’il était traité avec ce médicament et qu’après vérification, un sevrage au Deroxat n’entraîne pas ce genre de conséquences. » Le procureur ajoute : « il n’avait pas l’air particulièrement mal sur les photos, il n’avait aucune raison médicale de faire ça »
« 6 à 8 mois de prison » requis.
Deuxième prévenu : « trois chefs d’accusation (dégradations, destruction par incendie, violences volontaires sur des fonctionnaires de police) : on le voit sur des photos arracher un combiné téléphonique, pour les violences vis-à-vis des policiers il est vu sur des photos et des films, il jette des bouts de dalle sur des policiers. Il a été reconnu par des policiers sur l’album photo. Il balance également des cailloux pour descendre des vitres (sic). »
Le procureur poursuit : « S’agissant de la destruction par incendie, il entre dans la chambre n° 9 à 15h37 avec [d’autres retenus], il se retrouve dans cette chambre et ils sortent en regardant (sic) et à 15h42, il y a les premières fumées. »
36 mois dont 6 avec sursis, avec mandat d’arrêt requis.
Troisième prévenu (qui comparaissait détenu lors des premières audiences, et qui a obtenu une libération conditionnelle à l’issue de la troisième) : « On le voit jouer à la Playstation. Il part et on lui reproche des violences contre les policiers, des destructions par incendie et des dégradations de biens publics. Sur les vidéos et les photos, on le voit saisir une porte démontée d’une chambre. Avec une violence et une constance dignes d’éloges, on le voit fracasser un local. Il était particulièrement agité. »
36 mois dont 6 avec sursis, avec mandat d’arrêt requis.
Quatrième prévenu : « poursuivi pour violences volontaires contre les forces de l’ordre, comme l’indiquent les photos, et pour dégradations. Il jette des morceaux de béton contre les forces de police et les bâtiments, il y a eu des bris de vitres. »
18 mois dont 6 avec sursis.
Cinquième prévenu, actuellement sous mandat d’arrêt : « poursuivi pour violences contre les forces de l’ordre et pour dégradations par incendie. Il était dans la même pièce que [d’autres prévenus] où le feu s’est déclaré. S’agissant des violences, il a été vu sur l’album envoyer du béton (sic) sur les forces de police et les bâtiments. Il n’a pas fait de détention provisoire. »
3 ans d’emprisonnement requis.
Sixième prévenu : « poursuivi pour violences sur les forces de police. Les photos sont assez claires. Sur deux photos, on voit des échanges de coups. Il est extrêmement agressif avec les policiers au niveau des grilles du sas (le cube extérieur grillagé). Il a un casier judiciaire, pour infraction à la loi sur les étrangers. »
6 mois d’emprisonnement requis.
Le procureur passe au cas des prévenus qui étaient retenus au CRA 2.
Il précise qu’il s’agit là de « personnalités un peu différentes, qui ont marqué la vie du CRA ».
Premier prévenu (du CRA 2) : « Il a organisé la manifestation pour Salem Souli. Il est habillé de manière très reconnaissable, comme tous les prévenus. Je l’ai vu avec son béret bleu-gris, avec un T-Shirt bien reconnaissable. »
« Il est poursuivi pour destruction par incendie. Il a eu un rôle très actif pour sortir les matelas. Il a été vu de façon indiscutable (sic) accompagner [un autre prévenu qui était retenu dans le CRA 2] qui portait un chiffon enflammé. Il était suivi par [un troisième prévenu]. Ils sont entrés dans la chambre, où les draps et les matelas étaient inflammables. Ils ont apporté le combustible. [Le second prévenu] était avec le feu et on ne saura jamais d’où il est venu. »
« Il y a une relation de causalité indiscutable, entre l’entrée, la sortie de la chambre et les fumées. On ne l’a pas vu matériellement mettre le feu, mais il y a eu des fumées et des flammes (sic). »
« Il était un de ceux qui animaient le mouvement. »
30 mois de prison dont 6 avec sursis, «il a déjà passé 11 mois en détention provisoire »
Deuxième prévenu (du CRA 2) : « Il s’agit là d’une personnalité intéressante. Les forces de police le décrivent comme… quelqu’un qui râle, un râleur. Il a beaucoup crié. Il a une situation administrative différente des autres prévenus, mais il n’est pas question de cela (16). »
« Il est grand, voûté, un bonnet sur la tête. C’est lui qui a mis un Coran devant l’objectif d’une caméra (…) Il dit tout et son contraire de façon violente. Il a eu un rôle moteur dans l’animation dans cette révolte. Il était dans la pièce avec [le prévenu dont le cas est relaté au dessus et celui qui avait le chiffon enflammé]. »
« Il a renversé une table de ping-pong. En béton, je précise. »
36 mois de prison, dont 6 avec sursis. Le procureur ajoute : « Il n’avait pas fait mystère de ses intentions, selon les forces de police. Leurs propos étaient convergents, il avait une volonté de détruire le CRA. »
Troisième prévenu : « Le plus jeune, assez fragile. Il voulait rentrer chez lui, ça prouve qu’il a acquis la maturité. (17) »
« Sauf à penser que la combustion spontanée existe -j’étais très mauvais en chimie-, on le voit accroupi devant un tas de matelas. Après son départ de l’endroit, il y a un départ de feu. »
« Pour expliquer cela, il a dit qu’il cherchait dans les matelas une montre et de l’argent qu’il avait cachés. »
« Son cas est moins grave que les autres. »
18 mois de prison requis, dont 8 avec sursis, « il a effectué 8 mois en détention provisoire. »
Quatrième prévenu : « Alors il est intéressant ce prévenu, c’est lui qui se plaisait à dire quand on lui demandait comment étaient les conditions en rétention, que ‘la nourriture est bonne’ »
« Il avait ce chiffon entre les mains. Il était dans la pièce [avec les prévenus cités plus haut], il y a eu un départ de feu. »
30 mois de prison, dont 6 avec sursis requis. Mandat d’arrêt.
Le procureur souhaite poursuivre : « l’absence des avocats [de la défense] est un problème pour les prévenus. Ils ne sont pas défendus. S’agissant des demandes du Trésor, le préjudice n’est pas évalué, les dégradations sont très importantes, de par leur nature. Il faut se féliciter qu’il n’y ait pas eu de victimes. (…) »
A propos du « geste des prévenus », « pour le CRA 2, on le voit, pour le CRA 1, on l’imagine. »
« Pourquoi le feu s’est-il propagé aussi rapidement ? Pourquoi les draps et les matelas n’étaient pas ignifugés ? Pourquoi les extincteurs [qui avaient été utilisés le 21 juin] n’ont pas été rechargés alors que des bruits de révolte [avaient été entendus par les policiers] ? »
Il souhaite qu’ « une évaluation du préjudice » soit réalisée et qu’une « expertise [soit] ordonnée », « aussi pour la sécurité des policiers ». « Pour les policiers et les détenus (sic), c’est une obligation morale. »
15h35. Audience mise en délibéré au 17 mars 2010, à 13h30.
(1) Lors de l’audience de la veille, quelqu’un dans le public avait été sorti par les gendarmes pour avoir visiblement enregistré les débats. La présidente avait alors parlé d’un possible huis-clos.
(2) Généralement dans les urnes et dans l’histoire, c’est plutôt l’inverse qui se produit. Fin de l’introduction à la sociologie du vote.
(3) Tremble prétoire !
(4) La propriété (de la défense), c’est le v(i)ol. Avec un tel argumentaire, sûr que la justice vous (re)fera une fleur.
(5) En effet, afin de montrer que le traitement du dossier était expéditif, la défense avait cité à titre de comparaison les heures de débats qui avaient été consacrées à différentes affaires, dont notamment les procès Tibéri, Dumas et Clearstream. L’évocation de Clearstream n’est pas tout à fait innocente ici puisque le procureur Flam s’était constitué partie civile dans ce dossier. Ou comment l’on imagine très fort à ce moment là l’avocate des plaignants geindre un « ils t’ont traîné dans la boue, je nettoierai ta robe. »
(6) Intéressante conception du droit. L’enfermement garantirait un meilleur accès aux droits. En tout cas, il nécessite plus certainement des recours en droit.
(7) Pour une spécialiste du droit, c’est rassurant.
(8) Où il est parfois plus utile d’abandonner le Code pénal et d’écouter Audiard : « Les cons ça ose tout, et c’est même à ça qu’on les reconnaît. »
(9) Cela pourrait être le sous-titre d’une fausse pub « Barbara Louf » des Nuls.
(10) Cinq minutes avant, le CRA n’était pas une prison selon l’avocate, là une vingtaine de flics dans un cube dont ils ont la clé sont quasiment des condamnés à mort. En tout cas, si les débats n’ont pas été contradictoires dans leur déroulement, l’avocate des flics assure très bien la contradiction dans sa plaidoirie.
(11) Qu’on envoie le fautif à Cayenne.
(12) On se rappellera de Maurice Papon qui déclarait sans rire, avant 1961, lors d’une interview, au sujet de la gestion par la police des bandes de « blousons noirs » : « Les policiers sont avant tout des psychologues ».
(13) L’Etat, ce n’est donc pas la société mais l’organisme social qui emploie les flics. Jolie « manifestation de la vérité ». On attend Max Weber dans le prétoire : « L’Etat est cette entreprise qui revendique avec succès, sur un territoire donné, le monopole de la violence physique légitime. »
(14) Si selon le procureur Flam, certaines choses sont « difficiles à entendre dans cette enceinte », il est des blagues qui devraient être réservées exclusivement au pot de départ d’un brigadier chef, par exemple.
(15) Sauf que dans le cas de ces « expertises », on peut quand même justement « discuter » de leur indépendance. En effet, et comme cela avait souligné par la défense lors des premiers jours d’audience, l’Etat est dans cette affaire à la fois juge et partie : il réalise via ses services de police scientifique des expertises versées au dossier et se constitue également partie civile.
(16) Par « situation administrative », le procureur entend une femme et des gosses. On appréciera le choix des mots du ministère public.
(17) Comme dirait Desproges, « au lieu de vous emmerder à lire tout Sartre, [écoutez un procureur], vous avez en même temps la nausée et les mains sales. » Pourquoi cette citation ? Il convient de préciser que selon un rapport qui a été révélé lors de l’audience du 8 février, le prévenu a fait plusieurs tentatives de suicide en détention. Le 11 août 2008, un surveillant avait découvert le prévenu « les pieds et les mains pendants ». Il s’était mutilé au niveau du visage, des bras et du cou. Il avait avalé des lames de rasoir avec du shampooing. Dans son cas, la justice parlera de « maturité » et pas de « préjudice moral » ou de « détresse » (privilège discursif réservé aux forces de l’ordre).
NB : Voir aussi l'article de Dominique Simonnot au sujet du procès dans
Le Canard enchaîné daté du 10 février.
EDIT 16 février : ci-dessous, ledit article :
Dans la chronique « Coups de barre »
« C’est énorme, Henri ! »
Tribunal de Paris
Oh la la, ce procès est un naufrage ! Un jour, c’est le client de Maître Terrel qui est arrêté. Pas de papiers, et pour cause. C’est pour ça qu’il était au centre de rétention de Vincennes quand il a brûlé, en juin 2008. Il est un des dix accusés d’y avoir mis le feu, mais comment le juger, si on l’interpelle à chaque coin de rue ? Un autre jour, c’est le client de Maître Stambouli qui reconnaît la présidente. Elle l’a mis en prison il y a quelques années. Mais alors, cette présidente peut-elle juger sans arrière-pensée ? Le tribunal est-il impartial ? Non ! clament les avocats. Si ! décrète la rigide présidente.
Et ces trois ridicules demi-journées fixées pour juger dix personnes qui nient tout ! Quand on pense que le procès Clearstream a duré un mois ! Les avocats ont réclamé plus de temps. La présidente a ordonné trois jours par semaine, pendant trois semaines. Et tout de suite ! Ah, mais pour ça il faut un jugement ! a opposé Maître Terrel. Pas du tout ! s’est énervée la juge. Oui, mais Maître Terrel avait raison, sans quoi le tribunal siègerait illégalement.
Les avocats ont appelé des renforts. Devant la salle, ils entourent Henri Leclerc, le grand pénaliste, et Maître Jean-Yves Leborgne, le vice-bâtonnier, qui a plaidé pour les soutenir. On crie : « C’est énorme, Henri ! Enorme ! Il fallait un jugement ! » On imite la grosse voix de Leborgne : « Notre bâtonnier a parlé d’une situation bancale, d’une procédure anormale et d’une image déplorable de la justice ! –Bravo ! Et vous avez vu, la présidente a osé l’interrompre ! Elle était furieuse ! » En tout cas, la veille il n’y avait pas de jugement, aujourd’hui il est là : « Je suis un fameux marabouteur ! Je l’ai fait réapparaître ! » , s’amse Maître Leborgne.
Mais le chaos continue. Contrairement à l’usage, la présidente a maintenu son nouveau calendrier d’audiences, sans demander l’avis des avocats. « C’est impossible de nous imposer ça ! Comment allons-nous faire ? Nous avons d’autres audiences ! Il faut renvoyer ce procès à plus tard ! » Et tous les avocats ont quitté l’audience. Tous les prévenus aussi.
Le premier président de la cour d’appel s’en est mêlé. Il s’est dit « consterné » par Maître Leborgne dont le propos « contribuent à l’agitation des esprits, alors que la justice a besoin de sérénité ». Il accuse même le vice-bâtonnier d’attentat à « l’indépendance de la justice ». Vraiment, c’est bien la première fois que quelqu’un voit en Maître Leborgne un agitateur gauchiste…
Et dans la salle ! L’ambiance est affreuse, le silence sépulcral. Hormis quelques spectateurs et les avocats de la préfecture, il ne reste personne pour visionner les images, bleuâtres, verdâtres, jaunâtres, des caméras de surveillance du centre de rétention le jour du feu. Et la présidente arbore le visage fermé d’une veuve corse. Sans doute en hommage à ce pauvre Tunisien asthmatique dont la mort mystérieuse, au centre de rétention, ce jour-là, a déclenché la révolte.