mardi 2 février 2010

Tribunal des flagrants délires - Jour 4 Procès CRA Vincennes






Lundi 1er février. Quatrième journée d’audience à la 16ème chambre du tribunal correctionnel de Paris. Gendarmes dans le hall, pas de portique devant la chambre. 13h30. Une vingtaine de personnes présentes pour assister à l’audience. La greffière qui se tient près des gendarmes nous apprend que 11 affaires doivent être renvoyées, puis l’audience pourra commencer.

13h55. Entrée dans la salle d’audience. Il aura donc fallu 30 minutes pour renvoyer 11 affaires. La salle est plus petite que la 31ème chambre – là où se sont tenus les débats la semaine dernière. Il y a environ 25 places assises pour le public, la 31ème chambre en comptait à peu près le double.


Sonnette traditionnelle qui signifie l’entrée de la cour. Salle debout, salle assise. La présidente fait l’appel des prévenus. Visiblement, aucun d’entre eux n’est là. Ils sont toutefois représentés par leurs avocats. Irène Terrel, de la défense, présente une demande d’ordre procédural relative à la détermination du nouveau calendrier des audiences. Elle rappelle que les trois audiences initiales prévues les 25, 26 et 27 janvier avaient été déterminées lors de l’audience de fixation du 1er décembre (1) .Selon l’avocate, conformément à l’article 461 du Code de procédure pénale (CPP), si le tribunal souhaite poursuivre les débats, il doit le faire par jugement. Or, le tribunal a fixé un nouveau calendrier par notes d’audience. Ainsi, selon Irène Terrel, il y a violation de l’art. 461 du CPP. Le ministère public (le procureur) doit donc se pourvoir, le renvoi étant sans fondement légal et reniant les droits de la défense. Les trois semaines de débats qui ont été ajoutées aux trois demi-journées initiales ont été décidées, selon Irène Terrel, en l’absence de toute concertation (2). La question se pose donc « en droit et en équité », selon elle.

Le procureur.

Il rappelle qu’il a, lors de la précédente audience, suivi les demandes de la défense s’agissant du visionnage de l’intégralité des bandes vidéo et requis la continuation des débats. Au sujet du nouveau calendrier et de la demande de la défense, il explique qu’il comprend que « la gestion d’un cabinet impose des contraintes » mais il considère « conforme à l’équité » le visionnage des bandes « qui constituent un élément essentiel du renvoi [des] clients ». Selon lui, « le pénal a pris en compte les demandes [de la défense] ».


Visiblement, la défense a sollicité l’intervention du représentant du bâtonnier. Il rappelle la tenue de l’audience de fixation du 1er décembre. Il évoque un « souci (de la défense) lié à l’administration d’une bonne justice ». Justice qui doit permettre la tenue de débats contradictoires en matière pénale, selon la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). L’avocat rappelle que les juridictions nationales doivent appliquer les principes de la CEDH. Le débat sur la fixation du calendrier participe, selon lui, d’une « affaire sensible » et doit être « contradictoire ». Il invoque l’article 461 du CPP et l’ « administration d’une bonne justice », l’ « administration du contradictoire ». L’avocat précise que, dans cette affaire, le fond et la forme sont liés. Il souhaite que, « compte-tenu de l’importance de l’affaire, le tribunal puisse réorganiser le calendrier au vu et au su des impossibilités de [ses] confrères ».

Première suspension. 14h16

Délibérations.

Reprise.

La présidente estime qu’il s’agit d’un « incident » et qu’ on peut "joindre l’incident au fond ".

Sortie des avocats.

En gros, la défense se barre. Ainsi que la quasi-totalité du public présent. Départ des troupes précédé dans le public d’un débat sur la pertinence d’une telle stratégie (de la part de la défense et des soutiens). Je décide de rester, histoire que quelques stylos puissent au moins retranscrire « le reste », c’est-à-dire peut-être le vide…

Il reste alors : 6 personnes maximum dans le public, quelques observateurs de justice et (peut-être – à vérifier) des journalistes dans le box qui leur est réservé, les parties civiles et leurs avocats (c’est-à-dire l’Etat et les fonctionnaires de police présents lors de l’incendie du CRA), la greffière, le procureur, le siège et les gendarmes.



Présentation des vidéos. 5, 7 et 13.

Avant de lancer les vidéos sur le rétroprojecteur au fond à gauche de la salle, la présidente « fai[t] constater aux parties civiles que les vidéos sont sous scellés ». « Nous » (c’est-à-dire pas grand monde) allons regarder « 2 DVD » du CRA 1 : intérieur/extérieur du bâtiment D et intérieur du bâtiment E.


Premières bandes : bâtiment D. Il s’agit selon la présidente de « vidéos intactes », des « originaux des bandes ». Il y a différents plans, avec différents angles de vue. Premières plages : entre 15h20 et 15h31 et jusqu’à 15h40. La présidente indique les chambres (3) qui ont brûlé. Chambre 12, 24, 27 et 30 notamment.

Suspension de l’audience.

Reprise.


La présidente énonce les noms des parties civiles (les fonctionnaires de police en l’occurrence). Elle souhaite « entendre certaines parties civiles le 9 février ». Il est question des auditions de trois autres fonctionnaires de police.

Visionnage des vidéos du CRA 1 « où apparaissent (certains détenus) », selon la présidente. Elle rappelle qu’ils comparaissent pour « violences » et/ou « dégradations ». La présidente rappelle les faits :

« le dimanche 22 juin 2008, il y a eu des dégradations, des vitres brisées dans le CRA 1 ». « Au CRA 2, des retenus faisaient la prière et il y avait des manifestants dehors ». « Au niveau du bâtiment D, il y avait une manifestation à l’extérieur qui demandait qu’on libère les retenus. »

Elle poursuit : « Il se peut que vous n’arriviez pas à voir, si non, vous vous rapprochez ». (4)


On peut lire sur l’écran de projection : « Sorry but the image you requested is not available on this disk ». (5)

Première vidéo.

Une table de ping-pong en haut à gauche. Un passage. Un banc en bas à droite de l’image. Rien. Silence. Rien. Si. Deux personnes sur un banc, elles se lèvent, elles changent de banc.

« On va essayer d’avancer » (la présidente).

Deuxième message d’erreur en anglais.

« C’est un logiciel qui est extrêmement compliqué, et si on met plus vite… » (la présidente).

Là, on passe à 4 vidéos en simultané sur l’écran (donc images 4 fois plus petites) : toujours la table de ping-pong, un couloir avec des flics, un espace extérieur grillagé, la cour.

Que voit-on ? Des mouvements de foule, des gens qui courent. Et c’est tout.

Le procureur se rapproche de l’écran.

On voit des retenus qui sortent du bâtiment, des attroupements –impossible de savoir ce qu’il se passe - , un groupe qui frappe à la porte de ce qui doit être une chambre, un homme frappe à une porte, il frappe encore.

Changements de caméras et d’angles de vue.

Le procureur explique qu’il « reconnaî[t] » l’un des prévenus (ah ?). Il marmonne quelque chose à la cour. La publicité des débats poursuit son cours.

Un des fonctionnaires de police se reconnaît sur la vidéo. Il a l’air enchanté.

Vidéo de l’espace grillagé extérieur. On voit des flics et des retenus. Les flics (20 ?) sortent par une porte grillagée et se retrouvent derrière les grillages. Des retenus arrivent (20 ?). Les deux groupes sont séparés par les grillages. On voit des retenus secouer les grilles.

Le procureur : « On voit ….(un prévenu). Il est venu s’en prendre aux policiers ». On voit des retenus secouer des grilles – pour rappel-.

Encore 4 vidéos de la cour en simultané. On voit des entrées, des sorties.

Le procureur fait des commentaires au gendarme assis à côté de lui.

On voit des jets de projectiles contre le bâtiment par des retenus.

« A droite en haut, c’est…(un prévenu) de dos, torse nu, lançant des cailloux » (le procureur).

Des cailloux (et 10 ans de taule à la clé).

4 autres vidéos en simultané des couloirs. On y voit des flics et des retenus. On voit des allers-retours des retenus et –horreur- un coup de pied dans un mur.

On voit un matelas porté par des retenus dans le couloir. Sortie du groupe. Dégagement de fumée. On ne voit aucune mise à feu.
Les parties civiles se marrent en se reconnaissant sur les vidéos.


Suspension de l’audience. 17h45


Reprise.

Le procureur : « Ce serait bien qu’on fasse pause (sur les vidéos) »

La présidente : « Non, le logiciel est trop compliqué (…) Il y aura des albums de photos couleurs pour chaque prévenu » (6)

Le procureur s’assoit à la place de l’un des assesseurs. (7)


Vidéos du bâtiment E du CRA 1. Le procureur : « comme vous le voyez, l’état des locaux n’est pas déplorable, il y a une liberté de circulation totale des retenus, il n’y a pas de problèmes d’hygiène, les locaux sont propres » (8)

Caméras du couloir. Allées et venues des retenus.

Enième conciliabule entre le procureur et le siège.

« C’est étonnant dans le bâtiment E, c’est d’un calme… », le procureur, qui poursuit à l’adresse de l’avocate de la partie civile « alors que dans l’autre on jette des pierres sur les policiers ».

Le procureur commente la vidéo, de son siège d’assesseur : « là, il y a de la fumée (…) on voit un certain nombre de personnes qui refluent (…) ils vont à l’endroit où il y a vraisemblablement un départ de feu. »

La présidente : « le bâtiment E est dégradé »

Le procureur aux parties civiles : « il y a des gaz lacrymo ? » (on voit des retenus se couvrant le visage)

L’avocate de la partie civile et la partie civile, de concert : « non, non, de la fumée. »

Vidéo porte entrée couloir.

Le procureur : « il y a (3 prévenus) devant la Play station à 15h24, un qui porte un pantalon pas banal – on va le retrouver avec son petit T-shirt un peu plus tard. » On voit sur l’écran trois mecs assis, des gars qui arrivent vers eux, les trois se lèvent, ce qui fait dire au procureur : « quelqu’un les avertit qu’il se passe quelque chose ». Sans bande son, toute interprétation est difficilement recevable en justice, ce me semble.

Là, on passe à 7 vidéos en simultané. (inversement proportionnel à la qualité de distinction de quoi que ce soit).

« Là, il va se passer quelque chose » (le procureur)

On voit des retenus dans une sorte de hall d’entrée d’un bâtiment.

Le procureur parle à l’un des assesseurs. Idem pour la présidente avec la greffière. Clin d’œil du procureur à l’une des fonctionnaires de police partie civile.

On voit des retenus qui transportent un matelas. Un donne des coups dans le matelas ou une porte –aucune idée-

Selon le procureur, c’est un des prévenus, c’est une porte et « elle est plus résistante que lui ».


La présidente annonce que demain à 14h les vidéos du CRA 2 seront visionnées.


La séance est levée.


La justice …
















(1) En très simplifié, l’audience de fixation détermine si les débats peuvent commencer et fixe le cas échéant les dates des audiences.


(2) Pour rappel : lors de la troisième journée d’audience, suite à l’une des demandes de la défense portant notamment sur le visionnage de l’intégralité des bandes vidéos, le tribunal, qui avait suivi cette demande, avait fixé un nouveau calendrier des débats. Les avocats de la défense avait alors relevé l’absence de concertation dans ce choix. S’en était suivi la sortie de l’une des avocates de la défense qui avait sollicité la venue du bâtonnier. Suite à quoi l’on avait assisté à une sorte de conciliabule entre le bâtonnier, la défense et le siège.

(3) Chambres…pas correctionnelles … (à chacun d’y ajouter l’adverbe qui convient).

(4) « Rapprocher », « imaginer », on verra par la suite que les définitions des verbes sont très floues en correctionnelle.

(5) Où l’on pense très fort en soi : « sorry but the truth you requested is not available in this court ».

(6) Eh oui, puisque le logiciel c’est trop compliqué pour faire pause, l’instruction a prévu des captures d’écran couleurs des vidéos.

(7) Symboliquement, l’image est intéressante : le ministère public à la place des juges, voilà de quoi dormir tranquille.

(8) Un CRA, c’est « cool », en fait.



EDIT mardi 10h20 : sur un plan symbolique, l'absence de la défense lors des débats produit ceci de signifiant : la justice se rend (dans tous les sens du terme) face à l'Etat et à la police.

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