jeudi 10 décembre 2009

En attendant le luxe





Vous connaissez le 6ème arrondissement ? Ses hordes de fils de pute (de luxe) qui trimballent à Assas leur Dalloz en Lancel, ses librairies où Jésus fait de la retape en vitrine, ses vieilles peaux pour qui le XIVème est déjà un quartier de prolos.

A défaut de présenter des armureries, le 6ème compte quelques boutiques où les rentiers traînent leur suffisance infusée dans une Gold. Qui dit boutiques dit petit personnel qui s'y affaire pour un SMIC. On t'ouvre la porte, on joue à "Shah perché". En gros, ici, la nuit du 4 août c'est une opération "fooding" dans un mas du Lubéron. Rien de plus.

Tu te rappelles de tes lointains ancêtres qui se planquaient derrière une tenture avant de ramener le faisan en croûte ? De gamète en gamète, leurs petits ont délaissé chausses et antichambres pour venir caler leurs gargouillements gastriques dans des espaces sans fenêtres puant le Shalimar et les révérences discrètes. Néanmoins, n'est pas laquais qui veut. Car, pour avoir l'insigne honneur de se taper une hernie discale à force de courbettes, il faut en passer par un recrutement de haut vol.

Avant, en entretien, tu entendais des conneries, seul. Maintenant, grâce aux avancées de la science de la sélection, tu entends des conneries, à plusieurs. Douze chômeurs autour d'une table. Des places de laquais "spécial fêtes" à gagner. Chacun s'est crée une contenance pour l'occasion et une grande écoute de l'autre. L'avantage de ce genre de petites sauteries, c'est qu'elles permettent au moins de se rendre compte que les pâtes de fruits des colis alimentaires ne sont pas très loin, que tu aies 22, 30 ou 55 ans ... Le MC/RH de la Maison est jeune, ni lent ni rapide dans son élocution, sérieux dans son dynamisme de connard.

Il présente les "possibilités d'emplois dans la maison" (du type qui passe huit heures par jour à emballer toutes les merdes de bourges qui finiront sous un sapin de Noël de bourge, à la "conciergerie" -une cahute où tu appelles 20 fois par jour un taxi parce que le bourge pourrait se niquer un cuticule en composant lui-même le numéro, en passant par les "expositions temporaires" où Marie-Alix rêve d'Inde dans un penthouse ...). Ces différents "challenges valorisants" te ramène un SMIC et un Weetabix.

Chacun se présente. Dix minutes, "pas plus". Sensation désagréable de participer à un déshabillage de la galère en direct live. Certains font de l'humour (regarde, je ferais rire les vendeuses), d'autres sont visiblement mal à l'aise (vivement que je me tire et que je me vide une barrique de sky). Une nana d'une cinquantaine d'années explique qu'elle s'est fait virer du BHV -elle dit pudiquement "oui, vous voyez, il y a eu une restructuration, j'étais vendeuse en salle de bain, j'ai vingt ans de maison". Et là voilà répondant à un trou duc' de 35 ans grand max' qui lui fait miroiter de l'onirisme en CDD.

Assez parlé. Test pratique. "On va voir si vous savez faire des papiers cadeaux." Des boîtes en carton estampillées bon goût, du papier à étoiles, des ciseaux, un rouleau de scotch, des faux ongles qui pourraient tout à fait se tirer dans l'espace avec ce genre d'excitation manuelle. L'exercice ne vise pas tant à démontrer à la face du monde que même pourvu d'un moignon, on peut légitimement penser que le candélabre rend bien dans son papier crépon, mais plus à tester la "coopération" entre les différents emballeurs. "Merci pour le scotch/ Oh mais de rien, merci pour ... (le coupe-papier que j'emballerais bien dans la jugulaire du "chargé de recrutement") " Niveau esthétique, on tape dans la légende "peint à la bouche par l'Académie aphasique de Paris". Du grand.

Après un passage par le cours d'art plastiques de la MJC, on nous a proposé une "simulation", un "jeu de rôles" sans puceaux ni Princesse Leia. Quand tu lis ton petit papier sur lequel est indiqué ton "rôle", tu oublies Electre et tu te dis que même Buster Keaton aurait eu du mal à tapoter son code de carte bleue dans un décor en moquette. "Ah, Clytemnestre, la carte ne passeu pas, ah hé bé, je vais la frotter contre ma cuisse d'enfer et attendre le soleil." Enfin, dans ce cas là, on était plus du côté de Georges Beller que du théâtre de Dyonisos.

Je suis entrée côté jardin, un lourd silence entourait mes pas, le choeur dans un bourdonnement a accompagné la demande que je fis aux dieux : "vous auriez pas la cravate Dior?" (toujours boire avant d'aller à un entretien).


Tel Estragon, je suis allée jusqu'au bord de la pente.

En attendant, je pourrais ouvrir la porte.



"Bienvenue chez Zola, monsieur Arnault."


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